Analyse par Jacques DUHEM
de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Décision du 11 juin 2013)
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Les faits :
Acte 1 Suite à une succession M. X. est devenu, en 1994, propriétaire indivis d’un massif forestier sur lequel a été pris un engagement de gestion durable pour 30 ans, en application de l’article L. 8 du code forestier M. X… a porté ce bien dans ses déclarations d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à hauteur du quart de sa valeur, au titre des années 1995 à 2003.
Acte 2 En novembre 2003, M. X… et les autres propriétaires indivis ont vendu le massif forestier à M. Y…, lequel, dans l’acte de mutation, a repris l’engagement de gestion durable.
Acte 3 En 2004, les agents de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt ont dressé un procès-verbal d’infraction au code forestier à l’encontre de M. Y…, pour coupes d’arbres non conformes au plan de gestion agréé, puis un procès-verbal d’infraction pour rupture de l’engagement de bonne gestion pris au titre du code général des impôts.
Acte 4 En novembre 2005, l’administration fiscale a notifié à M. X… une proposition de rectification, remettant en cause l’exonération partielle d’ISF dont il avait bénéficié jusqu’à la vente du bien à M. Y.
La décision:
La Haute Cour estime qu’en cas de non-respect par l’acquéreur de l’engagement de gestion pris par le cédant, ce dernier est déchu du régime de faveur (exonération des ¾) dont il a bénéficié en matière d’ISF.
Commentaire:
La cession des biens objets de l’engagement ne remet pas en cause l’avantage fiscal. Cependant, le non-respect par l’acquéreur de l’engagement peut être fatal au cédant. Un élément à prendre en considération lors de la cession !
Le texte de la décision :
Références
Cour de cassation
Chambre commerciale
Audience publique du mardi 11 juin 2013
N° de pourvoi: 12-19890
Publié au bulletin Rejet
M. Espel (président), président
Me Le Prado, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 7 février 2012), que, le 15 avril 1993, en sa qualité d’héritier de Marie-Thérèse X…, M. X… est devenu propriétaire indivis d’un massif forestier sur lequel a été pris un engagement de gestion durable pour 30 ans, en application de l’article L. 8 du code forestier ; que M. X… a porté ce bien dans ses déclarations d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à hauteur du quart de sa valeur, au titre des années 1995 à 2003 ; que, le 6 novembre 2003, M. X… et les autres propriétaires indivis ont vendu le massif forestier à M. Y…, lequel, dans l’acte de mutation, a repris l’engagement de gestion durable ; qu’en 2004, les agents de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt ont dressé un procès-verbal d’infraction au code forestier à l’encontre de M. Y…, pour coupes d’arbres non conformes au plan de gestion agréé, puis un procès-verbal d’infraction pour rupture de l’engagement de bonne gestion pris au titre du code général des impôts ; que, le 18 novembre 2005, l’administration fiscale a notifié à M. X… une proposition de rectification, remettant en cause l’exonération partielle d’ISF dont il avait bénéficié jusqu’à la vente du bien à M. Y… ; qu’après mise en recouvrement des rappels d’imposition et rejet partiel de sa réclamation, M. X… a saisi le tribunal de grande instance afin d’être déchargé de cette imposition ;
Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande alors, selon le moyen, que si l’engagement de bonne gestion pris au titre des articles 793, 885 D et 885 H du code général des impôts est pris par le propriétaire du bien, pour lui et ses ayants-cause, cet engagement n’est pas contractuel mais est attaché au bien forestier lui-même, de telle sorte qu’en cas de non respect de cet engagement, seul le propriétaire responsable de son non-respect, au jour de l’infraction, doit supporter toutes les conséquences fiscales de sa violation ; que la cour d’appel, en faisant supporter à M. X… les conséquences fiscales de la méconnaissance par le seul M. Y…, acheteur du bien forestier, de ses obligations, a violé les dispositions combinées des articles 793, 2. 2°, 885 D, 885 H et 1840 G II (en réalité1840 G bis II) du code général des impôts et de l’article L. 8 du code forestier ;
Mais attendu que l’infraction justifiant, aux termes de l’article 1840 G bis II du code général des impôts dans sa rédaction applicable, la révocation du régime de faveur alors prévu aux articles 885 D, 885 H et 793, 2. 2° du même code est constituée par le non-respect par l’héritier du bien, ou ses ayants cause, de l’engagement de gestion souscrit ; qu’ayant constaté qu’un tel engagement avait été pris par le demandeur et n’avait pas été respecté par l’acquéreur du massif forestier devenu son ayant cause et justement retenu que le V de l’article L. 8 du code forestier avait un champ d’application distinct, la cour d’appel en a déduit à bon droit la déchéance de M. X… du régime de faveur dont il avait bénéficié au titre de son ISF ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu que le second moyen ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer au directeur général des finances publiques la somme de 2 500 euros ;Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour M. X…
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué :
D’AVOIR débouté Monsieur X… de sa demande en décharge des compléments d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) mis à sa charge ;
AUX MOTIFS QUE l’administration n’est pas tenue, à la suite de la déchéance du régime de faveur en cause en l’espèce qui a profité à Monsieur et Madame X… au titre de leurs déclarations d’ISF de 1995 à 2003, de réclamer à Monsieur Y…, du fait de l’infraction au Code forestier dont il s’est rendu coupable, le complément de droits, intérêts et majorations prévus à l’article 1840 G II du CGI ; qu’en effet, la réglementation forestière, d’une part, et le droit fiscal, d’autre part, dont Monsieur X… revendique en l’espèce une application combinée au regard de l’appréciation de la déchéance de ce régime de faveur, ont un champ d’application distinct ; que c’est ainsi que la mise en cause de la responsabilité de Monsieur Y… (…) au titre de l’infraction au Code forestier qui a été constatée par procès-verbal, est sans incidence sur l’appréciation, strictement fiscale, de la rupture de l’engagement de bonne gestion antérieurement pris aux titres des articles 793, 885 D, 885 H et 1840 G bis du CGI, constaté suivant procès-verbal du 13 septembre 2004 ; qu’au surplus Monsieur X… qui est ainsi obligé indépendamment de l’auteur de l’infraction, n’est pas non plus fondé à se prévaloir des dispositions particulières visant le paiement des compléments de droits et pénalités exigibles en cas de non-respect des engagements pris par les redevables pour l’obtention de mesures fiscales de faveur ; qu’en effet, s’il est vrai qu’au regard de la solidarité au paiement des droits complémentaires et supplémentaires qui existe entre le bénéficiaire de l’avantage fiscal et ses ayants cause, l’acquéreur du bien peut être obligé à la place de celui qui a pris l’engagement de verser au trésor solidairement ces droits, cette solidarité au paiement ne modifie cependant pas les règles de déchéance et le redevable légal de l’impôt en résultant ;
ALORS QUE si l’engagement de bonne gestion pris au titre des articles 793, 885 D et 885 H du CGI est pris par le propriétaire du bien, pour lui et ses ayants-cause, cet engagement n’est pas contractuel mais est attaché au bien forestier lui-même, de telle sorte qu’en cas de non-respect de cet engagement, seul le propriétaire responsable de son non-respect, au jour de l’infraction, doit supporter toutes les conséquences fiscales de sa violation ; que la Cour d’appel, en faisant supporter à Monsieur X… les conséquences fiscales de la méconnaissance par le seul Monsieur Y…, acheteur du bien forestier, de ses obligations, a violé les dispositions combinées des articles 793-2-2°, 885 D et H et 1840 G II du CGI, et de l’article L. 8 du Code forestier.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)Il est fait grief à l’arrêt attaqué :
D’AVOIR débouté Monsieur X… de sa demande en décharge des compléments d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) mis à sa charge ;
AUX MOTIFS QUE contrairement à ce qui est soutenu, le procès-verbal du 13 septembre 2004, auquel la proposition de rectification fait référence, comporte des constatations précises sur les parcelles cadastrales concernées par des coupes abusives, non autorisées, qui suffisent à démontrer que les services des impôts disposaient des éléments leur permettant de procéder à une rectification ;
ALORS QUE les constatations faites par les agents de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt du Cher, dans leur procès-verbal du 13 septembre 2004, n’ont pas été totalement reprises par le vérificateur des impôts dans sa proposition de rectification, de telle sorte que les redressements litigieux ne sauraient être considérés comme ayant été calculés à partir de la superficie sur laquelle le manquement ou l’infraction a été constaté ; qu’en s’abstenant de répondre aux conclusions de Monsieur X… invoquant cette discordance, la Cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile ;
ET ALORS QUE les constatations faites par les agents de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt du Cher, dans leur procès-verbal du 13 septembre 2004, n’ont pas été totalement reprises par le vérificateur des impôts dans sa proposition de rectification, de telle sorte que les redressements litigieux ne sauraient être considérés comme ayant été calculés à partir de la superficie sur laquelle le manquement ou l’infraction a été constaté ; que si elle a considéré implicitement que la rectification était conforme au procès-verbal du 13 septembre 2004, la Cour d’appel a dénaturé ledit procès-verbal et la proposition de rectification du 18 novembre 2005 et violé l’article 1134 du Code civil.