Analyse par
JEAN PASCAL RICHAUD
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De quoi s’agit-il ? Une nouvelle fois, un enfant loge gratuitement dans une maison, propriété des parents. Il s’agit, on le sait, d’un avantage indirect consenti à un successible. Est-il rapportable ?
La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 septembre 2013 (Cass. 1ère civ., 25 sept. 2013, n°12-24779, non publié au bulletin), vient confirmer sa jurisprudence antérieure initiée en janvier 2012 tout en la complétant…
A l’occasion d’une donation-partage consentie à leurs deux fils, Francis et Michel, en avance de part successorale (ex : avance d’hoirie), les parents-donateurs se réservent l’usufruit des biens donnés et partagés, de leur chef, entre leurs deux présomptifs héritiers. Francis a reçu un lot composé d’une maison + terrain en nue-propriété seulement. Après la donation-partage, Francis a occupé gratuitement ce bien immobilier dont les parents étaient usufruitiers.
Son frère, Michel, a demandé que cet avantage indirect soit « rapporté » à la succession des donateurs en application des articles 843 et suivants du Code civil, comme constitutif d’une donation indirecte en avance de part consentie par ses parents à son frère, Francis.
La cour de cassation dans sa décision sous analyse du 25 septembre 2013, au visa des articles 843 et 1315 du Code civil, indique clairement :
En premier lieu, que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du donateur dans l’intention libérale de gratifier son héritier (c’est moi qui souligne ), est rapportable à la succession (art. 843 C. civ) ;
En second lieu, qu’il incombe au(x) cohéritier(s) qui demande(nt) le rapport de cet avantage indirect de prouver l’appauvrissement du ou des disposants et surtout leur intention libérale (actori incumbit probatio = la charge de la preuve incombe au demandeur, art. 1315 C. civ) ;
Observation(s), commentaire(s) :
Comme l’a indiqué Me Yves Delecraz dans sa note parue au JCP N, n°16, du 20 avril 2012, n°1188, sous les arrêts du 18 janvier 2012 (voir infra.) :
La jurisprudence de la Cour de cassation semble cohérente.
On retiendra sommairement que la mise à disposition gratuite d’un logement est soumise à rapport dès lors qu’elle constitue une véritable donation de fruits et revenus, ce qui est le cas quand l’occupation s’est prolongée un certain temps, donc pendant une longue durée caractérisant ainsi un véritable avantage indirect de nature libérale (transfert patrimonial = élément matériel de la libéralité), à condition qu’il s’agisse d’un logement indépendant, et dès lors que les juges du fond, souverains dans leur appréciation (Cass. req. 9 déc. 1913), y décèlent la preuve d’une intention libérale (élément intentionnel = « animus donandi » de la libéralité), preuve qui doit être rapportée par le ou les créanciers du rapport, i.e le ou les cohéritiers du successible bénéficiaire de l’avantage indirect (cf. arrêt du 26.sept.2013 sous analyse et dans le même sens, V. Cass. 1ère civ., 26 sept. 2012, n°11-10960).
Pour aller plus loin :
Le coin des Chercheurs…, voir notamment
■ JCP N, n°16 du 20 avril 2012, article 1187, « Avantages indirects liés au logement gratuit d’un successible : plus de rapport sans intention libérale établie par V. Barabé-Bouchard ;
■ JCP N, n°16 du 20 avril 2012, article 1188, « L’avantage résultant de l’occupation gratuite d’un logement n’est pas toujours rapportable » par Y. Delecraz
■Dr. famille 2012, comm. 50, note B. Beignier ;
■Cass. 1ère civ., 18 janvier 2012 n°10-25685, n°10-27325, n°11-12863, n°09-72542 ;
■Voir dans le même sens que les arrêts du 18 janvier 2012 notamment : Cass. 1ère civ., 20 mars 2013, n°11-21368 et Dr. famille, comm. 93, par Sarah Torriccelli-Chrifi ;
■« L’intention libérale dans les relations familiales » par Me Jean-Claude Brault, ancien notaire, Defrénois 1998, article 36900, pages 1425 à 1436 ;
Cet article, et d’autres publiés par cet ancien notaire est, de mon point de vue, donc très subjectif, excellent, comme beaucoup écrits par cet auteur. Voir également, du même auteur sur cette thématique patrimoniale : « La donation de somme d’argent », Defrénois 1996, article 36236, et « La donation à l’enfant unique », Defrénois 1994, article 35727.