ANALYSE PAR PIERRE YVES LAGARDE
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La théorie de la fin du monopole…
Depuis quelques années, certains mouvements diffusent un message selon lequel les textes européens imposent la fin du monopole français de la Sécurité Sociale. Cette polémique ressurgit aujourd’hui, suite à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 3 octobre 2013 (affaire C-59/12) portant sur le champ de la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises (Affaire C-59/12 – BKK Mobil Oil Körperschaft des öffentlichen Rechts contre Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV).
… est pour certains confirmée par l’arrêt BKK Mobil Oil du 3 octobre 2013
Dans cet arrêt, la Cour estime que si un organisme de droit public en charge d’une mission d’intérêt général mène à titre subsidiaire des opérations commerciales, ce qui était le cas de l’organisme allemand en cause dans l’affaire, il doit respecter les dispositions de la directive 2005/29/CE pour ce type d’opérations. Pour les militants de la fin du monopole, l’arrêt du 3 octobre 2013 s’analyse ainsi : les caisses publiques de sécurité sociale fournissent un produit d’assurance aux consommateurs. Les relations entre les caisses publiques de sécurité sociale et les preneurs d’assurance sont régies par le code de la consommation, qui exige l’existence d’un contrat et interdit les pratiques commerciales agressives, au nombre desquelles figurent évidemment les mises en demeure et les contraintes. Privée de l’arme de la contrainte, la Sécurité sociale ne serait plus qu’un fournisseur d’assurance comme les autres et aurait donc bien perdu son monopole.
Ce que la Direction de la Sécurité sociale le conteste vigoureusement
La Direction de la Sécurité sociale a rappelé dans un communiqué de presse du 29 octobre 2013 l’obligation de s’affilier et de cotiser à la Sécurité sociale en contestant les « différents articles ou émissions de radio annonçant une nouvelle fois à tort la fin du monopole de la Sécurité Sociale ». Elle considère en effet que cette décision ne change rien à la nature des activités poursuivies par la Sécurité sociale française, ni à l’obligation de cotiser auprès de celle-ci. Elle rappelle que selon la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne, les activités de la Sécurité sociale n’étant pas de nature économique, elles ne sont pas soumises au droit européen de la concurrence, auquel peut être rattaché l’arrêt BKK Mobil Oil.
Tandis que nous, les conseils, sommes légalement (très) incités à la grande prudence…
Nous n’avons pas ici la prétention de trancher la portée réelle de l’arrêt BKK, évidemment. Mais il est utile de rappeler que, depuis 2007, le Code de la Sécurité sociale (Article L114-18) prévoit que toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, incite les assujettis à refuser de se conformer aux prescriptions de la législation de sécurité sociale, et notamment de s’affilier à un organisme de sécurité sociale ou de payer les cotisations et contributions dues, est punie d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 15 000 euros ou de l’une de ces deux peines seulement. Ce qui inspire l’envie quasi irrépressible de s’intéresser à la controverse, certes, mais de loin, et sans engager d’opinion ou de responsabilité professionnelle !