Deux lois de finances rectificatives ont mis en place en 2011, un mécanisme d’exit tax destiné à frapper les candidats à l’exil fiscal.
Un décret a complété le dispositif en 2012 et l’administration a récemment commenté ce dernier dans le cadre d’un BOFIP.
Maître Stanislas Vailhen, avocat associé au Cabinet Alérion à Paris a accepté de répondre à nos questions traitant de ce sujet.
JD Maître Vailhen, merci d’avoir accepté de répondre à mes questions traitant d’un sujet d’actualité sensible : la délocalisation. Les différentes augmentation de la pression fiscale poussent nombre de contribuables vers la piste de la délocalisation. Mais le législateur ici aussi joue les troubles fêtes…
JD Pouvez-vous nous exposer les objectifs législatifs de ce dispositif qui exhume un texte applicable jusqu’en 2004 et jugé illégal enuite par la CJCE ?
SV L’objectif premier du dispositif de l’exit tax est de dissuader les personnes physiques résidentes de France de transférer leur résidence dans des pays où la fiscalité applicable aux plus-values de cession de titres dont ils sont propriétaires est plus favorable qu’en France. Un tel objectif avait déjà été poursuivi par le législateur fiscal qui avait introduit dans le cadre de la loi de finances pour 1999 un mécanisme d’exit tax notamment sur les plus-values latentes afférentes à des participations substantielles. A la différence du dispositif actuel, le candidat au départ de France devait dans tous les cas présenter des garanties lorsqu’il souhaitait qu’il soit sursis au paiement de l’impôt dû au titre des plus-values latentes, du fait de son départ de France. Cette obligation de constituer des garanties avait été jugée contraire au principe communautaire de liberté d’établissement dans l’arrêt célèbre Lasteyrie Du Saillant de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 11 mars 2004.
La loi de finances pour 2005 avait par la suite abrogé ce dispositif. Contrairement au dispositif qui l’a précédé, le dispositif d’exit tax en vigueur depuis le 11 mars 2011 se veut euro-compatible et a globalement un champ d’application plus large.
JD Quelles en sont les conditions de mise en œuvre ? Qui est concerné ?
SV Les personnes physiques qui ont résidé en France pendant au moins 6 ans au cours des 10 années qui précèdent le transfert de résidence et qui soit possèdent des participations qui représentent directement ou indirectement au moins 1% dans les bénéfices sociaux d’une société, soit sont propriétaires de titres d’une ou plusieurs sociétés représentant une valeur supérieure à 1.3 M€, sont imposables au titre des plus-values latentes sur ces titres, appréciées à la date du transfert de résidence. La plus-value latente imposable correspond à la différence entre la valeur vénale des titres au jour du transfert de résidence, et leur prix d’acquisition dans le cadre d’une acquisition à titre onéreux. Les mêmes contribuables sont également imposables lors du transfert de leur domicile fiscal hors de France sur les créances de complément de prix (« earn out »). Enfin, les contribuables qui transfèrent leur résidence hors de France, quel que soit le nombre d’année qu’ils ont résidé en France, sont également imposables sur les plus-values en report d’imposition.
JD Doit-on payer immédiatement ?
SV Lorsque la personne physique transfère sa résidence dans un pays membre de la Communauté Européenne, le sursis de paiement est automatique. En revanche, en cas de transfert dans un pays en dehors de la Communauté Européenne, le sursis de paiement doit être demandé et le bénéfice du sursis de paiement est subordonné à la désignation d’un représentant fiscal d’une part, et à la constitution de garanties d’autre part. En pratique, les candidats au transfert de résidence dans un pays extérieur à la Communauté Européenne doit déposer une déclaration spécifique n° 2074 ET au service des impôts des non-résidents dans les 30 jours précédant le transfert de son domicile fiscal dans laquelle il calcule les plus-values latentes et sollicite le cas échéant le bénéfice du sursis d’imposition. Le bulletin fiscal des finances publiques qui commente le dispositif d’exit tax publié le 31 octobre 2012, précise que pour le calcul des plus-values latentes, il est admis de retenir la valeur des titres à la date du dépôt des déclarations spécifiques n° 2074 ET et non leur valeur à la date du transfert du domicile fiscal hors de France.
Le contribuable doit également mentionner dans la déclaration spécifique le nom ou la dénomination sociale et l’adresse du représentant fiscal qu’il désigne comme étant autorisé à recevoir en ses lieux et place les communications relatives à l’assiette au recouvrement et au contentieux de l’impôt, étant précisé que le représentant est un simple intermédiaire entre l’administration et le contribuable qui ne peut par conséquent être mis en cause pour le paiement des impôts dus par ce dernier.
Concomitamment au dépôt de la déclaration n° 2074 ET, le candidat au transfert de résidence en dehors de la Communauté Européenne doit dans les 30 jours précédant le transfert de domicile fiscal, proposer des garanties au service des impôts des particuliers des non-résidents, sauf à ce que le transfert de résidence ne soit motivé par des raisons professionnelles d’une part et que le pays dans lequel la personne physique transfère sa résidence soit lié à la France par une convention d’assistance administrative, en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement, ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010, d’autre part.
L’instruction publiée le 31 octobre 2010 précise que : « Les raisons professionnelles entrainant le transfert de domicile fiscal peuvent concerner le contribuable, son conjoint, ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ». En outre, et conformément à ce qui était déjà indiqué dans la notice de la déclaration 2074 ET, l’instruction rappelle que : « Le contribuable devra fournir à l’appui de sa demande de sursis de paiement les documents attestant du changement d’activité professionnelle ou de sa localisation (avis de mutation, nouveau contrat de travail faisant apparaitre sa date de début d’exercice d’activité, documents de création d’activité professionnelle ou d’une entreprise, statuts de l’entreprise créée par le contribuable, attestation de résidence dans l’état du lieu de l’exercice de la profession, lettre de détachement, etc) ainsi que de la date du début de cette activité qui doit intervenir dans un délai raisonnable à compter du transfert de domicile fiscal hors de France ».
JD Quels sont les événements mettant fin au sursis ?
SV Le sursis d’imposition (automatique ou sur demande) prend fin lorsqu’intervient une cession, un rachat, une annulation ou un remboursement des titres dans les 8 ans suivant le départ.
L’administration fiscale procède au dégrèvement d’office ou à la restitution des sommes lorsque la personne qui a transféré sa résidence transfère de nouveau sa résidence fiscale en France ou en l’absence de cession des titres dans les 8 ans suivant le départ. Toutefois dans cette dernière hypothèse, seul l’impôt (calculé aujourd’hui au taux de 19%), est dégrevé, les contributions sociales (aujourd’hui calculées au taux de 15.5%) demeurent dues.
JD Quel est l’effet d’une donation des titres entrant dans le champ de l’exit tax ?
SV L’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux afférents aux plus-values latentes constatées sur les titres au moment du transfert de domicile fiscal hors de France, sont dégrevés d’office ou restitués, en cas de donation de titres, lorsque le contribuable démontre que cette donation n’a pas été faite à seule fin d’éluder l’impôt sur la plus-value latente.
En pratique, pour que le contribuable puisse bénéficier du dégrèvement ou de la restitution, l’acte de donation ne doit pas contenir de clauses restrictives à la donation qui auraient pour conséquence de permettre au donateur de jouir, dans les faits, des titres ou droits objet de la donation ou du produit de la cession des titres ou droits intervenus postérieurement à la donation.
JD Les exonérations applicables en droit français demeurent-elles applicables aux titres entrant dans le champ de l’exit tax ?
SV Lorsqu’une personne physique transfère son domicile fiscal et cède ses titres alors qu’il est fiscalement domicilié dans l’un des états membres de l’Union Européenne, l’impôt sur le revenu afférent à la plus-value latente est également dégrevé lorsque la plus-value de cession des titres répond aux conditions d’application des dispositions d’exonération mentionnées en droit français tel que celles qui prévoient l’exonération d’impôt sur le revenu de la plus-value de cession de droit sociaux en cas de cession à un membre de groupe familial (article 150-0A I 3 du CGI) ou celles concernant les cessions de parts ou actions de JEI (article 150-0A III 7 du CGI).
Dans ces circonstances, pour bénéficier du dégrèvement de l’impôt sur la plus-value latente, le contribuable doit justifier que la cession respecte toutes les conditions d’application du dispositif d’exonération concerné en joignant l’ensemble des documents nécessaires à la déclaration n° 2074 ET, déposée en même temps que sa déclaration d’impôt sur le revenu n° 2042 l’année qui suit la cession des titres.
En revanche, les prélèvements sociaux restent dus et la cession des titres entraine le cas échéant l’expiration du sursis de paiement avec l’exigibilité des prélèvements sociaux.
JD Quid pour les PEA et les plus-values portant sur des SCI patrimoniales ?
SV Les titres détenus dans un plan d’épargne en actions sont exclus du dispositif de l’exit tax.
De même, les plus-values portant sur des titres de SCI patrimoniales ne sont pas dans le champ de l’exit tax.
JD L’administration a commenté récemment le mécanisme de l’exit tax, le BOFIP comporte-t-il de bonnes ou de mauvaises nouvelles ?
SV En substance, le BOFIP publié le 31 octobre 2012 confirme les précisions qui figuraient déjà dans la notice de la déclaration spécifique 2074 et mise en ligne au mois de juin dernier.
En particulier, le BOFIP confirme que sont exclus du champ de l’exit tax les parts ou actions ou autres droits de sociétés à prépondérance immobilière non cotées que ces sociétés soient soumises à l’impôt sur les sociétés ou non et les parts ou actions de sociétés cotées à prépondérance immobilière lorsque la personne physique détient directement ou indirectement au moins 10% du capital de la société.
En revanche, lorsque la personne physique détient directement ou indirectement moins de 10% du capital d’une société à prépondérance immobilière soumise de droit ou sur option à l’impôt sur les sociétés et cotée sur un marché réglementé (français ou étranger), à l’exception des SPPICAV, les parts ou actions de cette société sont dans le champ de l’application du dispositif d’exit tax.
JD Pour conclure, l’exit tax constitue-t-elle un obstacle à l’expatriation ?
SV L’exit tax n’est pas en soi un obstacle à l’expatriation. Elle vise en revanche à dissuader les contribuables français à opérer un transfert de résidence dans un but essentiellement fiscal afin de rechercher un pays offrant une fiscalité plus avantageuse que celle de la France en matière de cession de titres. Ce dispositif cumulé avec celui de l’article 150-0B ter contenu dans l’article 13 du projet de loi de finances rectificative pour 2013 présenté le 14 novembre 2012 qui cherche à limiter les schémas fiscaux d’apport-cession, pourrait en revanche refroidir les candidats au transfert de résidence.
Il semble en outre que le dispositif de l’exit tax comporte quelques fragilités qui permettront peut-être aux contribuables concernés d’en obtenir l’annulation auprès des tribunaux, à l’instar du premier dispositif d’exit tax créé en 1999 et finalement annulé 5 ans plus tard.
JD Maître, nous vous remercions pour cet éclairage.