Interview de HERVE LECUYER
Professeur agrégé des Facultés de droit
Université Panthéon-Assas (Paris 2)
Avocat
Le régime fiscal applicable à l’assurance-vie est demeuré relativement stable (et globalement favorable) au cours des dernière années. Sur le plan juridique la construction reste sur certains aspects imparfaite et parfois controversée. Sur bien des questions c’est la jurisprudence qui façonne le régime civil de l’assurance-vie. Nous avons sollicité Hervé Lecuyer afin qu’il nous livre son éclairage sur l’actualité frappant le contrat d’assurance-vie.
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JACQUES DUHEM (JD) Bonjour Hervé. Pour notre formation du 8 octobre prochain, tu as choisi de traiter des points d’actualité liés à l’assurance-vie. Peux-tu nous expliquer ce choix ?
HERVE LECUYER (HL) Le choix de l’assurance-vie s’est vite imposé, tant l’actualité de cette dernière est riche. Ceci s’explique facilement. Le rôle économique joué par l’assurance-vie est considérable. L’attention portée sur elle est constante. Songeons à la place que lui accorda le rapport Berger-Lefebvre, consacré à l’épargne longue, rapport qui suggère, au demeurant, la création d’un nouveau contrat « Euro-Croissance ». Le sort des contrats en déshérence émeut, à nouveau, le législateur. Et puis, il y a les réformes qui impactent l’assurance-vie, comme celle relative à la saisie pénale.
En parallèle, la jurisprudence œuvre sans cesse et façonne le régime « civil » de l’assurance-vie.
JD L’assurance-vie est en premier lieu un contrat unissant un souscripteur et un assureur. Quelles sont les principales précautions à prendre. Quelles sont aujourd’hui les principales erreurs commises lors de la souscription et susceptibles de créer des difficultés ultérieurement ?
HL La première difficulté tient, peut-être, dans l’extraordinaire diversité des produits proposés ainsi que dans la technicité de la matière. L’information délivrée par l’assureur (ou l’intermédiaire) est ici déterminante, elle peut – et doit – orienter le souscripteur dans ses choix. L’autre difficulté majeure peut tenir à l’adaptation au cas particulier, aux besoins particuliers du souscripteur, de schémas types. Cela a souvent été dénoncé : la clause bénéficiaire type que porte la plupart des contrats d’assurance-vie est loin d’être toujours parfaitement adaptée aux situations, personnelles, familiales, professionnelles des preneurs d’assurance. Il faut savoir alors s’abstraire du prêt-à-porter et exiger du sur-mesure… Et celui-là peut être très sophistiqué, sollicitant notamment des techniques forgées par le droit civil (le droit des biens, le droit des successions et libéralités etc.)
JD L’assurance-vie est également une stipulation pour autrui. Quels sont les droits du bénéficiaire ? Comment régler les conflits pouvant surgir entre le souscripteur et/ou ses ayant droits et le ou les bénéficiaires ?
HL L’assurance-vie fut même l’illustration la plus pertinente de la stipulation pour autrui à laquelle tout Professeur enseignant le droit des obligations recourait pour exposer et expliquer le mécanisme… Si l’assurance-vie a toujours porté une stipulation pour autrui particulière (la jurisprudence dérogeant, sur plus d’un point, au régime général de la stipulation pour autrui), c’est, aujourd’hui, la référence même à la stipulation pour autrui qui est discutée. La loi du 17 décembre 2007 a modifié en profondeur la situation du bénéficiaire, et notamment exigé, au moins du vivant de l’assuré et du souscripteur, que le souscripteur consente à l’acceptation de la stipulation faite à son profit par le tiers bénéficiaire. Cela bouleverse en profondeur la nature même de la clause bénéficiaire.
D’une façon plus générale, ce sont les droits du bénéficiaire qui ont été remodelés par les réformes récentes. Ces droits sont définis concrètement : capital, rente, droits démembrés, bénéfice assorti d’une charge… Mais ces droits sont aussi définis abstraitement : droit à la prestation de l’assureur, fragile car révocable, tant que la stipulation n’a pas été acceptée, solide car irrévocable, une fois l’acceptation intervenue. Cette acceptation confère d’ailleurs au bénéficiaire, au détriment du souscripteur, un véritable pouvoir de nuisance, puisque, par la grâce du législateur (et contrairement à la sage position des juges français), le bénéficiaire peut paralyser toutes les prérogatives du souscripteur sur le contrat, s’opposer à un rachat, une demande d’avance, ou au nantissement.
Des conflits entre le souscripteur et les bénéficiaires peuvent donc surgir, ont déjà surgi. Certaines espèces furent odieuses, telle celle soumise à la Cour de cassation en 2008 où un souscripteur, malade, hospitalisé, ne pouvant plus payer les frais d’hôpital, s’opposait au refus de ces neveux et nièces, bénéficiaires acceptants, d’autoriser le rachat… Pour éviter les conflits, il est donc une solution radicale : éviter que la stipulation soit acceptée par son bénéficiaire. Et y parvenir est aujourd’hui chose simple : il suffit au souscripteur de ne pas y consentir…
JD L’assurance-vie est en second lieu un actif pouvant être outil de garantie. Quelles sont sur ce point les principales sources de contentieux ?
HL La matière n’engendrait pas un important contentieux. La pratique a su, dans le passé, forger des instruments très efficaces permettant de conférer une situation très confortable au créancier. Le régime du gage de la police n’était pas pleinement satisfaisant, d’où un recours généralisé à la délégation imparfaite… Le nantissement du contrat d’assurance-vie a été redessiné, au carrefour de la réforme des sûretés (qui a bouleversé en profondeur le Livre IV du Code civil) et des lois plus particulières intéressants le seul titre III du Livre I du Code des assurances. Le nantissement en ressort sûrement renforcé, par rapport à l’ancien gage, mais toutes les questions n’ont pas trouvé leur réponse dans les textes nouveaux. On songe notamment à la faculté qu’aurait le créancier nanti de demander le rachat. Le texte n’est pas clair. Les interprètes sont partagés. Bref, la délégation pourrait encore avoir de beaux jours devant elle…
L’introduction de la fiducie, en droit français, pourrait aussi contribuer à la redéfinition des termes du sujet.
JD L’assurance-vie a depuis longtemps été promue comme un instrument patrimonial de protection du conjoint survivant. Les autres héritiers ne peuvent-ils pas voir dans cet outil une technique de sur-protection ?
HL Tu soulèves une question très difficile. La protection du conjoint survivant est, en soi, une question délicate qui a justifié maintes hésitations, maintes évolutions (une politique des petits pas…) du droit des successions et des libéralités. Le sort du conjoint survivant, même dans le cadre d’une simple dévolution ab intestat, est aujourd’hui très avantageux et cet avantage peut être amplifié par le recours à l’assurance-vie.
C’est alors la question de la place de l’assurance-vie au regard des techniques et solutions du droit patrimonial de la famille qui est posée. L’assurance-vie peut amplifier certains mouvements (par exemple celui de protection du conjoint) ce qui peut être jugé fâcheux, peut contrarier certains intérêts farouchement protégés par le droit des successions et des libéralités (par exemple l’intérêt des héritiers réservataires)…. Faut-il, pour éviter que l’assurance-vie tire à hue pendant que le droit des successions tire à dia, que ce dernier intègre la première dans ses prévisions ? Cela supposerait de considérer que l’assurance-vie est un instrument permettant une libéralité au profit du bénéficiaire. Faut-il alors considérer que l’assurance-vie (du moins certains contrats comme les contrats de capital différé contre-assuré ou les contrats vie entière) est toujours porteuse d’une libéralité, ou qu’elle l’est seulement parfois ? Ces questions sont essentielles. Elles demeurent parmi les plus agitées en la matière.
JD Merci beaucoup, Hervé pour cet éclairage. Nous aurons donc le plaisir de te retrouver le 8 octobre 2013 à Paris, pour notre journée de formation, aux côtés de Pascal Julien St Amand, Michel Grimaldi et Rémy Gentilhomme.
Le Code civil au service de l’ingénierie patrimoniale…
Tu pourras développer les thèmes évoqués ci-dessus. Tu pourras à cette occasion, signaler les principales difficultés d’application et faire un point sur la jurisprudence récente. PROGRAMME ET INSCRIPTIONS : Merci de cliquer ici