Analyse de la décision du Conseil d’Etat du 12 octobre 2011 (n° 324717, 3e et 8e ss)
Les faits:
Acte 1 : En juillet 2000, une donation-partage portant sur des titres de société est consentie entre parents, enfants et petits-enfants. La valeur retenue pour le calcul des DMTG (droits de mutation à titre gratuit) est fixée par les parties à 77 € par titre.
Quelques semaines plus tard, les titres sont revendus à un tiers pour 77 € l’unité. Ainsi, aucune plus-value, n’est déclarée.
Acte 2 : L’administration notifie un redressement. Elle considère que la valeur réelle des titres, lors de la donation, n’était que de 44 €. Elle en déduit donc qu’une plus-value de 33 € par titre devait être déclarée.
Acte 3 : Le tribunal administratif et la cour d’appel de Versailles ont confirmé ce redressement.
L’analyse du conseil d’Etat :
En l’espèce, les contribuables invoquaient la lettre de l’article 150-0 D du CGI, qui prévoit que le gain net taxable est calculé à partir de la valeur retenue pour les droits de mutation, et non de la valeur à retenir pour ce calcul.
Selon les requérants, ces dispositions imposaient à l’administration, de rectifier les droits de mutation acquittés à tort avant de pouvoir modifier la valeur d’acquisition retenue pour le calcul de la plus-value.
CGI, article 150 0 D
Les gains nets mentionnés au I de l’article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, nets des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d’acquisition par celui-ci ou, en cas d’acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation.
La haute cour estime au contraire, que l’administration ne saurait être liée par une surestimation de la valeur déclarée pour les droits de mutation.
Cette décision est rendue conformément aux conclusions du Commissaire du gouvernement qui souligne qu’il n’appartient évidemment pas au contribuable, lorsqu’il est soumis à plusieurs impôts, d’arrêter à sa convenance les bases à raison desquelles il va être assujetti à l’un ou à l’autre.
La décision rendue par le Conseil d’Etat s’inscrit dans la continuié de sa jurisprudence. Ainsi dans une décision rendue en 2006 (CE 7 avril 2006, n° 270443) le même raisonnement avait été retenu. Pour cette affaire, le contribuable n’avait pas déclaré les titres qu’il avait acquis à titre gratuit. L’administration avait calculé la plus-value imposable au moment de la cession de ces titres en retenant une valeur d’acquisition égale à zéro. La cour avait jugé que, dans ce cas de figure, l’administration pouvait affecter aux titres en cause une valeur nulle à moins que le contribuable qui les a recueillis soit en mesure de justifier de leur valeur d’acquisition à la date de cette dernière.
Il résulte donc de cette jurisprudence qu’à la fois le contribuable et/ou l’administration peuvent démontrer que la valeur retenue pour les droits de mutation n’était pas la bonne. (que cette valeur ait été sur-estimée ou sous-estimée)
Le Commissaire du gouvernement souligne que la remise en cause de la valeur déclarée doit cependant être limitée aux hypothèses d’erreur manifeste ou de manœuvres.
L’administration doit démontrer que la valeur déclarée par le contribuable est dépourvue de toute signification.
Annexe :
CE 12 octobre 2011 n° 324717, 3e et 8e s.-s.,
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février et 30 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. et Mme X, demeurant à Z ; M. et Mme X demandent au Conseil d’Etat :
1° d’annuler l’arrêt n° 06VE01879 du 13 novembre 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté leur requête tendant à l’annulation du jugement du 13 juin 2006 du tribunal administratif de Versailles rejetant leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2000;
2° réglant l’affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions d’appel ;
3° de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 € au titre de l’article L 761-1 du Code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Code civil ;
Vu le CGI et le LPF ;
Vu le Code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Christian Fournier, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Z, avocat de M. et Mme X
– les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Z, avocat de M. et Mme X,
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article 150-0 A du CGI, applicable à l’année d’imposition en litige : « I. 1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que de l’article 150 A bis, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l’article 118 et aux 6° et 7° de l’article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l’impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 50 000 F par an (…) » ; qu’aux termes de l’article 150-0 D du même Code, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce : « 1. Les gains nets mentionnés au I de l’article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d’acquisition par celui-ci ou, en cas d’acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation (…) » ; qu’aux termes de l’article 759 du même Code, dans sa version applicable aux faits de l’espèce : « Pour les valeurs mobilières (…) admises aux négociations sur un marché réglementé le capital servant de base à la liquidation et au paiement des droits de mutation à titre gratuit est déterminé par le cours moyen au jour de la transmission. » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 4 juillet 2000, M. et Mme X et leurs trois enfants mineurs ont acquis à titre gratuit, par donation-partage consentie par le père de Mme X, des titres de la société D ; que la valeur unitaire des titres qui a été déclarée pour le calcul des droits de mutation était de 77 € ; que M. et Mme X et leurs enfants les ont cédés le 13 juillet et le 30 septembre de la même année, pour le même prix unitaire, et n’ont en conséquence pas déclaré de plus-value imposable ; que l’administration a remis en cause le prix d’acquisition de ces titres, qu’elle a fixé à 44 €, valeur unitaire des titres sur le second marché de la bourse de Paris à la date de la donation-partage, et a imposé entre les mains de M. et Mme X la plus-value réalisée, calculée par différence entre le prix d’acquisition de 44 € et le prix de cession de 77 € ;
Considérant que, pour confirmer par l’arrêt attaqué le jugement du tribunal administratif de Versailles qui avait rejeté la demande de M. et Mme X tendant à décharge des impositions supplémentaires consécutives à ce redressement, la cour administrative d’appel de Versailles a jugé que le prix d’acquisition de titres obtenus à titre gratuit n’était pas la valeur déclarée et effectivement retenue pour les droits de mutation mais celle qui aurait dû être retenue, selon l’article 759 du CGI, déterminée par le cours moyen de l’action au jour de l’acquisition ; que, toutefois, dès lors que l’article 150-0 D du CGI prévoyait que, pour le calcul du montant de la plus-value taxable en cas de cession de titres, le prix d’acquisition des titres obtenus à titre gratuit devait être fixé à la valeur retenue pour le calcul des droits de mutation, cette valeur devait en principe être prise en compte, qu’elle procédât d’une déclaration du contribuable au titre des droits d’enregistrement ou, le cas échéant, d’une rectification de cette déclaration par l’administration fiscale ; qu’il n’aurait pu en aller autrement que si l’administration avait établi que la valeur retenue pour les droits d’enregistrement était dépourvue de toute signification ; qu’il s’ensuit que M. et Mme X sont fondés à soutenir que l’arrêt attaqué est entaché d’erreur de droit et à en demander, en conséquence, l’annulation ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 000 € à M. et Mme X au titre des des dispositions de l’article L 761-1 du Code de justice administrative ;
Décide :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 13 novembre 2008 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Versailles.
Article 3 : L’Etat versera à M. et Mme X une somme de 3 000 € au titre de l’article L 761-1 du Code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme X et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat, porte-parole du Gouvernement.