ANALYSE PAR PIERRE YVES LAGARDE
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Quand l’étreinte fiscale et sociale devient excessive, certains dirigeants sont tentés par la technique dite de la « boulette ». Il s’agit de passer une charge dans la société en année N, au titre d’un complément de rémunération restant à payer au dirigeant. Mais ce complément ne sera payé qu’en N+1. C’est également en N+1 que le dirigeant déclarera ce revenu.
Ainsi, par exemple, la société réduit en 2013 l’assiette de son impôt sur les sociétés, via une provision pour prime à payer, tandis que le dirigeant ne déclarera sa prime qu’au titre des revenus perçus en 2014. Sauf que les textes et l’administration ont toujours censuré vigoureusement ces petits arrangements avec le calendrier.
Pour autant, la décision récente du Conseil d’état (N° 344899 du 20 décembre 2013) nous suggère que la solution pourrait être différente, quand le mode de calcul du variable repose sur des chiffres issus des comptes sociaux de l’entreprise, non arrêtés au 31 décembre de l’année, quand l’exercice de la société est aligné sur l’année civile.
La règle générale
Il résulte des dispositions combinées des articles 12, 13 et 83 du code général des impôts que les sommes à retenir au titre d’une année déterminée pour l’assiette de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires sont celles qui sont mises à la disposition du contribuable, soit par voie de paiement soit par voie d’inscription à un compte courant ou un compte de charges à payer ouvert dans les écritures de la société.
Quand le bénéficiaire est un dirigeant de la société – « maître de l’affaire, prenant les décisions, disposant de l’information et arrêtant les comptes » – que ce dirigeant a pris la décision d’inscrire la somme qui lui est due dans les comptes de la société et que le retrait effectif de la somme au plus tard le 31 décembre de ladite année n’est pas rendu impossible par des circonstances telles que, notamment, la situation de trésorerie de la société, alors la prime doit être rattachée à ses revenus imposables au titre du même exercice que l’inscription de la charge dans les comptes de la société.
Le cas particulier de la prime de bilan
Dans son arrêt du 20 décembre 2013, le Conseil d’état constate que l’assemblée générale des associés de la société payeuse a décidé le versement d’une prime exceptionnelle au profit de chacun de ses cogérants. Cette prime devait être d’un montant de 4,5% du résultat courant avant impôt de l’exercice en cours et clos le 31 décembre 2004.
Dès lors, cette prime n’a pu être arrêtée que postérieurement au 31 décembre 2004. Devant être égale à un pourcentage du résultat comptable de l’exercice, elle ne pouvait être calculée qu’après l’arrêté des comptes. Son montant restait indéterminé avant qu’il soit fixé, à titre rétroactif, lors de l’approbation des comptes intervenue au cours de l’année 2005. Cette circonstance faisait obstacle à ce que cette prime, d’un montant encore indéterminé le 31 décembre 2004, puisse être regardée comme ayant été appréhendée par l’intéressé au cours de l’année 2004.
Elle n’avait ainsi pas à être déclarée comme étant un revenu 2004 mais bien comme un revenu 2005.
Annexe : Texte de la décision
Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 20/12/2013, 344899, Inédit au recueil Lebon
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 décembre 2010 et 20 janvier 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme B…A…, demeurant… ; Mme A…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 09NT01834 du 21 octobre 2010 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté son appel contre le jugement n° 07-1546 du 25 juin 2009 du tribunal administratif de Rennes rejetant sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle elle a été assujettie au titre de l’année 2004 et des pénalités correspondantes ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
1. Considérant qu’il résulte des dispositions combinées des articles 12, 13 et 83 du code général des impôts que les sommes à retenir au titre d’une année déterminée pour l’assiette de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires sont celles qui sont mises à la disposition du contribuable, soit par voie de paiement soit par voie d’inscription à un compte courant ou un compte de charges à payer ouvert dans les écritures de la société, dès lors que, dans ces deux derniers cas, le créancier de la somme est un dirigeant de la société qui a déterminé la décision d’inscrire la somme qui lui est due dans les comptes de la société et que le retrait effectif de la somme au plus tard le 31 décembre de ladite année n’est pas rendu impossible, en fait ou en droit, par des circonstances telles que, notamment, la situation de trésorerie de la société, les circonstances matérielles du retrait ou les modalités de détermination du montant exact de la somme susceptible d’être retirée ;
2. Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeA…, cogérante de la SARL Deton, détient la moitié des parts sociales de la SARL 4M2T, laquelle est l’associé unique de la SARL Deton ; que, le 30 décembre 2004, l’assemblée générale des associés de cette dernière a décidé le versement d’une prime exceptionnelle au profit de chacun de ses cogérants, d’un montant de 4,5% du résultat courant avant impôt de l’exercice en cours et clos le 31 décembre 2004 ; que cette prime, inscrite dans la comptabilité de la SARL Deton au compte » personnel-charges à payer « , a été déclarée par la requérante au titre de ses revenus de l’année 2005 pour un montant de 38 000 euros ; que l’administration a estimé que le montant net de cette prime devait être rattaché aux revenus imposables de Mme A…au titre de 2004 et a mis à la charge de cette dernière le supplément d’impôt sur le revenu en résultant ;
3. Considérant que pour confirmer, par l’arrêt attaqué, le jugement du tribunal administratif de Rennes rejetant sa demande tendant à la décharge de ce supplément d’imposition et des pénalités correspondantes, la cour administrative d’appel de Nantes a relevé qu’en sa qualité de cogérante détenant la moitié au capital de la société détentrice de la totalité des parts de la SARL Deton, Mme A…était maître de l’affaire, prenant les décisions, disposant de l’information et arrêtant les comptes ; qu’elle en a déduit que cette prime exceptionnelle devait être regardée comme un revenu dont la requérante avait pu disposer au cours de l’année de son inscription en compte ; qu’en statuant ainsi, alors que cette prime lui a été attribuée à hauteur d’un pourcentage du résultat comptable de l’exercice, lequel n’a pu être arrêté que postérieurement au 31 décembre 2004, de sorte que son montant restait indéterminé avant qu’il soit fixé, à titre rétroactif, lors de l’approbation des comptes intervenue au cours de l’année 2005, et qu’une telle circonstance faisait obstacle à ce que cette prime, d’un montant encore indéterminé le 31 décembre 2004, pût être regardée comme ayant été appréhendée par l’intéressée au cours de l’année 2004 , la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;
4. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
5. Considérant qu’il résulte de ce qui vient d’être dit que Mme A…ne peut être regardée comme ayant eu en 2004 la disposition de la somme de 38 000 euros ; qu’elle est, par suite, fondée à soutenir que c’est à tort que, par son jugement du 25 juin 2009, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions et pénalités correspondantes ;
6. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat, la somme de 3 000 euros à verser à MmeA…, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, pour l’ensemble des frais qu’elle a supportés tant devant le Conseil d’Etat que devant les juges du fond ;
D E C I D E :
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Article 1 : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 21 octobre 2010 et le jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 juin 2009 sont annulés.
Article 2 : Mme A…est déchargée du supplément d’impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes auxquels elle a été assujettie au titre de l’année 2004.
Article 3 : L’Etat versera à Mme A…une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B…A…et au ministre de l’économie et des finances.
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